la ronde des lumières
Publié le 15 Février 2014
Pour cette sixième ronde, autour du mot "lumière(s)", j'ai le grand plaisir d'accueillir Jean-Pierre Boureux
et moi, je suis chezAinsi roule la ronde, le premier écrit chez le deuxième qui écrit chez le suivant :
un promeneur chez même si chez mine de rien chez cecile-r chez la distance au personnage chez rumeur d'espace chez quotiriens chez voir et le dire, mais comment ? chez Gilbert Pinna, le blog graphique chez mesesquisses chez loin de la route sûre chez Emaux et gemmes des mots que j'aime chez un promeneur
Prochaine ronde : le 15 avril.
Premières lumières, premières expressions d’art
Le clan s’avance dans la nuit, les torches résinées grésillent, l’entrée de la grotte jette un arc de pâles lueurs entre ciel et terre. Dedans déjà la fumée disperse des faisceaux lumineux sur les parois qui ondulent et semblent envelopper la bande chancelante et haletante. De grands murins inaudibles patrouillent, des gouttes lumineuses tombent des stalactites et atterrissent en giclant sur la forêt de stalagmites étincelante et diamantée qui craquelle sous les pieds fourrés.
Le chef entonne une longue litanie gutturale, les bottes de fourrure piétinent en cadence l’argile molle et les initiés scandent une mélopée qui mêle des accents humains aux clochettes tintinnabulantes des gouttes dans les flaques ourlées d’une frange cristalline. Déjà quelques chasseurs entrent dans l’atmosphère mystérieuse de la transe qui ouvre le royaume de l’au-delà au débouché d’un couloir sinueux et étroit, poli comme le silex des haches par les passages successifs depuis des générations.
Tout à coup le chaman entonne une suite de jappements félins et son corps mime les dangereux et puissants bondissements des bêtes ocellées. Au bout de ses bras qu’il fait tourner et osciller, les flammèches des torches lancent les mêmes éclairs que ceux entrevus dans la prunelle des panthères et des lynx. La nuit infernale se dissout soudain lorsque les maîtres du feu que le chef des chasseurs a réparti au long des parois de la grande salle entrent dans la danse. Par d’amples mouvements coordonnés leurs brûlots s’avivent et découvrent enfin les processions animales surgies des surfaces dévoilées par une lumière de plus en plus présente qui, tantôt fige, tantôt anime les cohortes sauvages. Les chants cessent, la peur fait battre les cœurs dans les poitrines et les oreilles. Dans les lueurs diffuses, dans la lumière vacillante, dans les ombres charbonnées, nul ne sait quel gibier, quels fauves vont fondre sur soi. À un nouveau signal du maître de cérémonie, des faisceaux fulminants convergent, les uns vers une troupe de bisons au galop dont les pattes et les échines se confondent dans une même envolée, les autres vers un groupe de petits chevaux à la crinière en brosse qui, effarouchés se rassemblent tandis que leurs prédateurs humains hennissent.
La lumière est de plus en plus vive, elle devient mouvement, beauté et image de combats épiques, elle est la vie du monde dans l’univers, elle transporte les pensées humaines vers des contrées irréelles peuplées de myriades de scènes fantastiques qu’au sortir de la caverne les initiés partageront en partie avec les mortels d’ici-bas. La lumière que l’homme transporte là où il ne vit pas d’ordinaire est la source même de son génie.
Jean-Pierre Boureux